Un don pour le commerce

Marc Rich, ou plutôt Marcell David Reich est né en 1934 à Antwerp en Belgique, et a grandi au sein d’une famille belge juive dont il est l’unique enfant. En 1940, en plein conflit mondial, alors que la Belgique est envahie par l’Allemagne nazie, le jeune Marc émigre pour les Etats-Unis avec ses parents. Son père ouvre alors une bijouterie à Kansas City dans l’Etat du Missouri. Leur nom de famille est américanisé et passe de Reich à Rich. La famille déménage ensuite, une dizaine d’années plus tard, dans le quartier de Queen’s, à New York, où le père de Marc, David, ouvre Melrose Bag & Burlap Co. L’activité de l’entreprise repose sur l’importation de toile de jute du Benghal qui sert à la production de sacs, et fait la fortune de son père. Il démarre ensuite une entreprise de trading de matières premières agricoles et participe à la création de l’American Bolivian Bank. De son côté, Marc suit des cours à l’université de New York dans laquelle il ne reste qu’un semestre pour partir travailler en 1954 chez Philipp Brothers, alors spécialiste du trading de métaux, aujourd’hui plus connu sous le nom de Phibro.

Grâce à son talent pour les affaires, il permet à la firme de prospérer dans des pays comme l’Espagne, la Bolivie ou encore Cuba mais il crée aussi le marché du mercure. Il apprend alors à faire affaires avec des partenaires de tous bords dont certains dictateurs. En 1974, il quitte Philipp Brothers et fonde avec Pincus Green, un ancien collègue trader, Marc Rich & Co en Suisse.large_77892_0__TN800x600L’entreprise deviendra par la suite Glencore Xstrata Plc. Il utilise ses relations acquises chez Philipp Brothers, pour devenir l’un des plus grands traders de matières premières de tous les temps, ce qui lui vaudra le surnom de « King of oil ». Il est encore aujourd’hui considéré comme étant la personne ayant révolutionné l’échange de matières premières au XXème siècle.

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Une créativité sans limite

Dans les années 70, son talent et son audace s’expriment par la création d’un marché spot (marché au comptant pour des livraisons rapprochées) pour le pétrole. Auparavant, les contrats étaient négociés sur des périodes longues permettant ainsi de sécuriser l’approvisionnement. Son idée lui permet de court-circuiter les grandes compagnies pétrolières appelées alors les Seven Sisters[1], et révolutionne le trading de pétrole. Dans la pratique, l’idée repose sur le trading de tankers (navires servant à transporter le pétrole) au prix du jour, pour une livraison la semaine suivante. Cette méthode est risquée mais lui a permis de réaliser d’incroyables profits car elle nécessite moins de capitaux.

 

La réussite de Marc Rich

L’entreprise Marc Rich & Co devient Glencore International en 1994 après la cession forcée de 51% de ses titres au géant mondial. Suite à de nombreuses acquisitions, l’entreprise passe du trading de mGLENCORE_Logoétaux et de pétrole à d’autres produits pétroliers, puis aux matières premières agricoles par l’acquisition d’une société de trading néerlandaise. Récemment, la société est sortie de sa politique de discrétion suite à des difficultés financières.

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Marc Rich avait pour habitude de dire : « Je fournis un service. Certains veulent me vendre du pétrole, d’autres voulaient m’en acheter. Je suis un homme d’affaires, pas un homme politique ». Ce leitmotiv de faire des affaires, peu importe l’interlocuteur, a failli causer sa perte. La vie de cet homme d’affaires est en effet entachée de nombreuses condamnations suite aux investigations d’un jeune procureur : Rudolf Giuliani, futur maire de New-York. Les chefs d’accusations atteignent le nombre record de 65 et incluent du racket, de la fraude fiscale, ou encore la violation d’un embargo international en réalisant des affaires avec l’Iran en pleine crise des otages de l’ambassade américaine. Il a également revendu du pétrole en provenance d’URSS à l’Afrique du Sud en plein apartheid. Il encourt alors une peine de 300 ans de prison et quitte le sol américain en temps que fugitif pour se réfugier en Suisse, pays qui refuse de l’extrader pour le remettre aux autorités américaines.569468_1_01175057_12595216

 

La descente aux enfers

Bloomberg le décrit comme l’un des fugitifs en col blanc les plus recherchés des Etats-Unis pendant près de 17 ans. Il gagne alors un deuxième surnom : « El Matador », pour avoir tenu tête et échappé aux autorités américaines pendant aussi longtemps. Mais cette réputation sulfureuse finira par lui coûter cher puisque certaines banques commencent à refuser de traiter avec lui. Il est alors contraint de revendre ses parts à hauteur de 600 millions d’euros dans Glencore dont il était l’actionnaire majoritaire. L’entreprise est reprise par un groupe d’investisseurs dont fait partie son protégé Ivan Glasenberg, aujourd’hui à la tête de l’entreprise. Il ne plaidera jamais coupable et clamera toujours son innocence. Il ne pourra pas non plus assister aux obsèques de sa fille aux Etats-Unis en 1996, décédée d’une leucémie. Il est par la suite gracié par le président américain Bill Clinton en 2001, le dernier jour de son mandat, provoquant un véritable tollé au sein de l’opinion publique américaine. Cette décision controversée aurait été obtenue par son ex-épouse, Denise, pour avoir soutenu financièrement la campagne des démocrates lors de l’élection présidentielle de Bill Clinton.

La jeunesse de Marc Rich, ses démêlés avec la justice, son sens des affaires incroyable et ses capacités de visionnaire en font l’un des hommes d’affaires les plus énigmatiques, avant-gardistes et controversés du XXème siècle. Dans son livre « The King of Oil: The Secret Lives of Marc Rich », Daniel Ammann, journaliste, le décrit comme un personnage secret, difficile à approcher et ne donnant en temps normal jamais d’interview. L’un des employés de Marc Rich, dans le documentaire « Traders – Le marché secret des matières premières », considère son ancien patron comme un avant-gardiste, qui était constamment aux frontières de la légalité et qui comme Icar s’est peut-être brûlé les ailes en se rapprochant trop près du Soleil.

Jules Girard, étudiant à l’ISARA-Lyon et Contributeur du blog AlumnEye

 

Sources :

  • http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/06/27/marc-rich-mort-d-un-pirate_3437755_3234.html
  • http://www.bloomberg.com/news/articles/2013-06-26/marc-rich-fugitive-commodities-trader-in-80s-dies-78
  • https://en.wikipedia.org/wiki/Marc_Rich
  • http://www.economist.com/news/obituary/21580438-marc-rich-king-commodities-died-june-26th-aged-78-marc-rich
  • http://www.bloombergview.com/articles/2013-06-26/marc-rich-s-sleazy-genius
  • Daniel Ammann, The King of Oil: The Secret Lives of Marc Rich, 2011

[1] Groupe composé des sept plus grandes compagnies pétrolières des années 40 aux années 70 : Anglo-Persian Oil Company (aujourd’hui BP), Gulf Oil, Standard Oil of California (aujourd’hui Chevron), Texaco (qui fusionnera par la suite avec Chevron), Royal Dutch Shell, Standard Oil of New Jersey (Esso/Exxon) et Standard Oil Company of New York (aujourd’hui absorbée par Exxon).