Avec près de 10 ans d’expérience sur le marché des ETFs (Exchange Traded Funds) dans des institutions de renommée internationale telles que BNP Paribas, Crédit Suisse et BlackRock, Alexandre Roubaud a développé une expertise complète sur ce produit. Actuellement en poste chez Blackrock, leader du marché mondial des ETFs, il nous dévoile dans cette interview son parcours, les subtilités de ces produits – définition, construction, intérêt – ainsi que les perspectives d’emploi dans ce secteur.

 

Bonjour Alexandre, merci d’avoir accepté de répondre à̀ nos questions.

 

Peux-tu nous décrire ton parcours ?

 

Après avoir été diplômé du bachelor de l’EDHEC, et un premier stage en salle des marchés chez CACIB (Crédit Agricole CIB), j’ai voulu continuer mes études en validant le Msc Financial Markets & Investment à SKEMA. A la fin de ce dernier, je suis entré en Graduate chez un Market Maker d’ETFs pour ensuite rejoindre l’équipe de structuration indicielle de BNP Paribas. Après un an à la BNP, j’ai eu l’opportunité d’intégrer l’équipe ETF Global Markets de Crédit Suisse. L’émetteur ETF de Crédit Suisse s’étant fait racheter par BlackRock en 2013, j’ai intégré l’équipe Global Markets EMEA de BlackRock dans laquelle je suis actuellement responsable du marché secondaire et optionnel.

 

Qu’est-ce qu’un ETF ?

 

Pour expliquer un ETF simplement, partons d’un indice que tout le monde connaît : le CAC 40. Celui-ci est composé de 40 actions. Si une personne souhaite investir dans le CAC 40, elle peut soit acheter les 40 actions de cet indice selon une certaine pondération prédéfinie par la méthodologie de l’indice, soit acheter une part d’un ETF qui va répliquer exactement la performance du CAC 40. Ainsi, un ETF est un moyen facile d’accéder à la performance d’un indice sans avoir à gérer un panier d’actions comme le ferait un gérant de portefeuille.

 

Comment se construit un ETF ? Blackrock utilise-t-il une méthode en particulier ?

 

Il y a deux méthodologies principales pour construire un ETF : physique ou synthétique. La méthode physique consiste simplement à répliquer un indice en achetant directement les sous-jacents. C’est la méthode la plus utilisée, notamment aux USA. La méthode synthétique quant à elle consiste à recevoir la performance d’un indice via un swap conclu avec une banque d’investissement.

Les institutions américaines comme Blackrock utilisent historiquement la méthode physique.

Les émetteurs français ont quant à eux historiquement plutôt tendance à utiliser la méthode synthétique, car l’émetteur d’ETFs est souvent une entité appartenant à̀ une banque d’investissement.

De manière générique, il n’y a pas de méthodologie à privilégier. Chacune a ses avantages et inconvénients et c’est vraiment du cas par cas en fonction du type de sous-jacent, de la domiciliation de l’ETF etc…

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A qui s’adresse ce type de produit ? Quelle est la tendance des ventes en Europe ?

 

Du fait de la diversité des produits proposés, les ETFs s’adressent à tout le monde. Vous trouverez du thématique, facteurs, crédits, matières premières, fx hedge, duration hedge etc… bref tout pour construire et optimiser un portefeuille. Notre clientèle est donc très diversifiée, Asset Managers, Assurances, Fonds structurés, banques centrales etc… c’est en partie ce qui rend notre business si intéressant.

Maintenant la grosse différence avec les US, c’est le marché retail. On peut y voir là-bas ~50% de l’activité venant de ce segment. En Europe la pénétration est pour le moment négligeable. Comment expliquer une telle différence ? Avant toute chose la culture financière y est bien mieux implémentée aux USA. Mais aussi les banques de réseaux en Europe auront tendance à limiter l’accès aux ETFs à leurs clients et privilégieront avant toute chose leurs fonds mutuels. Essayez donc d’acheter des ETFs via une assurance vie…très peu de contrats offrent cette possibilité…mais les choses évoluent dans le bon sens.

 

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Travailler avec des ETFs requiert une certaine technicité. Selon toi, quelles sont les qualités recherchées à l’embauche d’un candidat ?

 

Concernant les juniors, il est toujours appréciable qu’ils aient une expertise en codage. A mon époque c’était VBA, maintenant la tendance se tourne plutôt vers Python ou SQL.

Étant dans une institution américaine, on ne s’intéresse pas réellement aux connaissances techniques en premier lieu. D’ailleurs, il est fréquent que les Graduates chez BlackRocks soient issus d’un master en philosophie ou en histoire de l’art par exemple. On recherche avant tout la flexibilité i.e. que le candidat n’ait pas une approche trop académique des sujets afin qu’il soit capable de se remettre en question.

On attend également que le candidat ait un esprit créatif et soit capable d’être innovant dans son approche. C’est d’ailleurs une question que l’on pose souvent à nos juniors : quel genre d’ETF tu créerais ? L’objectif est que le candidat soit capable de développer une idée novatrice.

 

En quoi consiste ton poste au quotidien ?

 

Je travaille au sein de l’équipe « Global Markets » qui est en charge des interactions entre l’émetteur et le marché. Son but premier de l’équipe est d’assurer la liquidité des ETFs. Chez Blackrock l’équipe est scindée en 2 divisions : le marché primaire, qui assure le bon fonctionnement du processus de création et rédemption des ETFs et le marché secondaire. Je suis en charge de cette seconde équipe dont l’objectif est de stimuler la croissance et l’efficience de l’activité de trading sur nos produits.

Cela se fait par plusieurs axes :

1) Gérer et développer un réseau de market makers et brokers faisant des prix sur nos produits,

2) Travailler avec les bourses et régulateurs pour améliorer l’écosystème européen,

3) Travailler sur des projets annexes ayant un impact direct sur la liquidité de nos produits comme le business optionnel ou de prêt emprunt,

4) Accompagner nos clients lors de leurs exécutions,

5) Un aspect de plus en plus important dans notre industrie, travailler en continue avec nos équipes « tech » pour créer ou améliorer divers outils informatiques nous fournissant un avantage compétitif.

Donc du fait de la diversité des tâches, je n’ai pas vraiment de day to day.

 

Comment s’est porté le marché des ETFs en 2018 ? Quelles seront les prochaines innovations selon toi ? 

 

Ce qu’il faut revenir de 2018 pour le marché ETF, c’est l’implémentation de MiFID II, une directive concernant les marchés d’instruments financiers ayant eu un impact multiple sur notre business.

Le marché des ETFs en Europe est structurellement problématique car il est fragmenté entre plusieurs marchés organisés (chaque pays européen ayant sa bourse), et une grande partie de l’activité se fait OTC (~70%). Donc il était historiquement très difficile d’avoir une visibilité sur l’ensemble des exécutions.

Avec MIFID II, chaque exécution doit être maintenant reportée et rendue public. C’est ce que l’on nomme la Post Trade Transparency. Cela fut déterminant car maintenant le marché peut avoir une vision précise de ce qui se traite réellement sur les ETFs, et cela apaise certaines inquiétudes que pouvaient avoir des clients finaux sur la liquidité des produits – dans certains cas, nous avons observé des volumes moyens sur certains ETFs être multipliés par 20. Cela accélère l’adoption de l’utilisation des ETFs notamment par les clients qui n’étaient pas convaincus initialement de la liquidité de ces produits.

En ce qui concerne les innovations, on observe actuellement un « boom » de la demande sur l’investissement socialement responsable ou encore de l’investissement sur des thématiques particulières. Aujourd’hui, les ETFs peuvent donner un accès très aisé à des thématiques comme la robotique.

 

Peux-tu nous expliquer les différences entre une gestion active et une gestion indicielle d’un ETF ? L’une est-elle préférable à l’autre ? 

La gestion indicielle consiste à suivre la performance d’un indice, le rôle du gérant de l’ETF est de minimiser l’erreur de réplication. Au contraire, la gestion active consiste à offrir aux investisseurs une vision de marché dans le but de surperformer un indice. Les deux sont en théorie opposés, mais finalement elles sont assez complémentaires dans la construction d’un portefeuille.

 

Avez-vous déjà encadré des stagiaires ou des juniors ? Si oui, quelles étaient leurs missions ?  

 

Oui dans les deux cas. Concernant les Summer Interns, nous donnons habituellement un projet à court terme (environ 1 mois) sur différentes thématiques : création d’un outil, veille de marché, etc. Le but du projet est de voir si le stagiaire sait gérer son temps, montrer une certaine indépendance etc…dans l’optique de l’embaucher pour le graduate program de l’année suivante.

Concernant les juniors, en plus du day to day, il est important de leur donner le contrôle de projets plus stratégiques qui vont développer chez eux sur le moyen terme de nouvelles compétences qu’ils pourront réutiliser pour occuper un poste de plus grande ampleur.

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En quoi le milieu des ETFs a-t-il évolué depuis ses débuts ?

 

Lors de ma première expérience du côté trading, le pricing était pour la plupart des boites encore très manuel et pouvait se faire encore sur un fichier excel. Maintenant la plupart des process ont été entièrement automatisés. Même les demandes OTC, qui historiquement étaient faites au téléphone ou par chat Bloomberg, sont maintenant électroniques avec des algorithmes qui auto-quotent. Tout est de plus en plus automatisé et l’humain a de moins en moins sa place. Mais cela n’est pas spécifique aux ETFs…

 

Quelles sont les perspectives d’emploi dans ce secteur ?

 

En raison de l’évolution du marché décrite à l’instant, le métier de « Sales Trader » est voué à̀ disparaître, un peu comme ce qui s’est passé en Cash Equity. Mais les « Sales Specialists » ont eux un bel avenir. En effet, les ETFs ne se contentent plus de suivre un indice « basique ». Nous voyons de plus en plus d’innovations dans le secteur avec l’arrivée des thématiques, smart beta etc… et les émetteurs vont de plus en plus chercher des Sales avec une expertise produit précise. Concernant le trading, les profils d’ingénieurs vont continuer d’attirer pour leur qualité d’expertise sur la technologie. Enfin, je pense qu’il y aura une forte demande sur les métiers liés à la régulation qui devient de plus en plus un point central de notre métier.

 

Nicolas Sombret, étudiant à l’ESSEC et contributeur du blog AlumnEye