« Capital markets have never been so hot », titrait le Financial Times début 2022. L’année 2021 signe en effet une année record pour le volume de capitaux levés, en particulier à l’occasion d’introductions en Bourse. Cette frénésie ne doit toutefois pas occulter le fait que le nombre de sociétés cotées aux Etats-Unis et en Europe a chuté depuis l’âge d’or des années 90. Cette dynamique est d’ailleurs illustrée par de fréquents retraits de cote volontaires, à l’instar de celui d’Iliad (groupe français de télécommunication fondé par Xavier Niel), qui a quitté la Bourse de Paris mi-octobre 2021. De plus, tout au long de l’année 2022, les marchés financiers n’ont jamais connu aussi peu d’introduction en Bourse. Ce début d’année 2023 n’est guère mieux loti. Quelles leçons les 30 dernières années d’introductions en Bourse peuvent-elles nous enseigner ? Éléments de réponse dans cette première partie du dossier d’AlumnEye sur les IPOs.

Des marchés aux tulipes d’Amsterdam à Wall Street

Avant toute chose, soulignons que ce premier acte n’a pas vocation à comptabiliser l’ensemble des grandes introductions en Bourse réalisées depuis 30 ans, ni même à proposer un bilan multi annuel du marché des IPO, mais entend au contraire identifier les grandes tendances à l’œuvre sur ce marché. Il n’a pas non plus pour objet de détailler les aspects techniques d’une IPO, mais d’en présenter les principaux mécanismes, afin de mieux rendre compte de l’évolution de ses modalités.

Une introduction en Bourse (Initial Public Offering, IPO en anglais) est l’un des moyens permettant à une entreprise de lever des capitaux auprès du marché, en l’occurrence en émettant des actions mises à disposition des investisseurs de façon liquide (c’est-à-dire qu’elles peuvent être cédées rapidement et facilement), faisant de la société une entreprise cotée (public company), par opposition à une entreprise non-cotée (private company), dont les titres sont détenus par un nombre limité d’actionnaires et ne sont pas liquides.

Comme souvent, lorsqu’il est question de marché des capitaux, c’est vers la cité d’Amsterdam du début du XVIIe siècle qu’il convient de se tourner pour entrevoir les origines des introductions en Bourse modernes. La première d’entre elles, celle de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, s’y est ainsi déroulée en 1602, à l’occasion de la naissance de la première place boursière de l’histoire. Cette ouverture du capital de la Compagnie à un large public d’investisseurs conférera à la première grande société anonyme multinationale du monde moderne la puissance financière nécessaire pour consacrer pendant près de deux siècles son emprise sur les routes commerciales reliant l’Europe à l’Asie du Sud-Est.

Depuis, cette pratique a été adoptée par de nombreuses entreprises en quête de financements sur les marchés, dans la mesure où, comme le rappellent Pascal Quiry et Yann Le Fur, plusieurs avantages lui sont traditionnellement reconnus :

  1. L’introduction en Bourse fournit à l’entreprise une capacité de financement de sa croissance (notamment sa croissance externe) appuyée sur les marchés financiers, sans charges financières supplémentaires en contrepartie (contrairement à la dette) ;
  2. Elle apporte à la société un supplément de notoriété vis-à-vis de ses partenaires (clients, fournisseurs, etc.) et sur le marché (investisseurs, analystes) ; or, d’après le prix Nobel d’économie Robert Merton (1987), la plus forte visibilité induite par la cotation en Bourse permet aux entreprises concernées d’amoindrir leur coût du capital ;
  3. L’IPO représente un moyen de fournir de la liquidité aux actionnaires existants (avec notamment la possibilité de céder une partie de leurs actions de la société) et aux actionnaires futurs.
  4. On peut également relever qu’elle constitue une possibilité d’intéresser plus facilement ses salariés au résultat (intéressement, stock-options, etc.).

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Les étapes d’une introduction en Bourse

En fonction de la taille de la société, une introduction en Bourse peut nécessiter de 6 à 9 mois pour être menée à bien. Dans le cadre de ce processus, la société qui souhaite entrer en Bourse s’entoure habituellement d’une multitude de conseils, en particulier des banques d’investissement, des conseils juridiques, auditeurs financiers ou encore agences de relations publiques. De façon schématique, une IPO classique se déroule de la façon suivante :

  1. Choix d’une place de marché et d’un underwriter, c’est-à-dire une banque d’investissement chargée d’intermédier l’opération et de placer les titres sur le marché (elle peut opérer seule ou bien au sein d’un syndicat de placement composé de plusieurs brokers) ;
  2. Conduite d’une due diligence (phase d’audit global) par les conseils de l’entreprise afin d’évaluer les risques relatifs à cette dernière ;
  3. Soumission de la documentation réglementaire aux autorités de marché, le « prospectus » d’IPO (outre-Atlantique, il s’agit du célèbre formulaire S-1, à remettre à la SEC, la Securities Exchange Commission), document aussi bien commercial que financier qui donne à voir un aperçu complet de la société, de ses performances financières, de ses perspectives de développement ou encore de son environnement concurrentiel ;
  4. Rencontre avec les investisseurs institutionnels potentiels à l’occasion de « roadshows» qui durent en général plusieurs semaines, dans le cadre de la méthode dite de « book building » (voir ci-dessous) ;
  5. Fixation d’un prix et placement des titres sur le marché : la société est désormais cotée en Bourse ;
  6. Possible activation de mécanismes de stabilisation du cours dans les premiers jours suivant le placement des titres de la part de l’underwriter, tels que l’option de sur allocation (greenshoe option), qui permet à ce dernier de placer sur le marché davantage d’actions qu’initialement prévu, dans une limite définie a priori. Par ailleurs, un mécanisme de lock up period empêche certains actionnaires initiés (employés, investisseurs précoces, etc.) de vendre leurs actions de la société nouvellement cotée dans un délai de plusieurs semaines ou mois suivants l’IPO.

Investisseurs institutionnels ou individuels ?

Pour rappel, le terme « investisseurs institutionnels », s’il recouvre un périmètre délicat à établir de façon stricte, renvoie de manière générale à un ensemble d’entités chargées de gérer des fonds pour compte de tiers, par opposition aux personnes physiques, les investisseurs individuels. Serdar Çeliki et Mats Isaksson (2013), chercheurs à l’OCDE, identifient trois catégories d’investisseurs institutionnels : les institutionnels traditionnels (compagnies d’assurance, fonds de pension, mutual funds), les institutionnels alternatifs (hedge funds, fonds de private equity, fonds souverains) et les asset managers (à l’image de BlackRock ou Vanguard, qui eux-mêmes gèrent des fonds pour le compte d’autres institutionnels).

On l’aura compris, le placement sur le marché dans le cadre d’une IPO classique peut impliquer de proposer des titres à la fois aux investisseurs institutionnels et aux investisseurs individuels (retail investors). Dans ce cas, la part de titres réservée aux investisseurs institutionnels est généralement la plus importante (souvent jusqu’à 90%), ce qui s’explique aisément par le fait qu’une société qui entre en Bourse a tout intérêt à privilégier des investisseurs professionnels, susceptibles de constituer un actionnariat de long terme, source de stabilité pour le titre.

Quelles sont les différentes méthodes de placement d’IPO ?

Le placement des titres classiques peut lui-même suivre plusieurs modalités techniques différentes. Historiquement, l’offre à prix ferme (OPF, fixed price offer), consistant à proposer aux investisseurs les titres à prix déterminé à l’avance par l’émetteur et l’intermédiaire financier, a longtemps dominé le paysage des méthodes d’IPO, notamment en France.

Mais la méthode la plus courante, qui correspond à l’étape du roadshow évoquée plus haut, est désormais celle du book building, importée des Etats-Unis dans les années 1990 et réservée aux investisseurs institutionnels. Dans le cadre de cette procédure, également nommée placement global ou placement garanti, la banque ou le syndicat bancaire chargé de l’underwriting détermine une fourchette de prix (price band) et constitue un « livre d’ordres » qui compile les offres émises par chaque investisseur institutionnel pour un certain nombre d’actions à un certain prix situé à l’intérieur de la fourchette initiale. Au terme de ce processus, l’underwriter fixe un prix d’émission qui se veut une synthèse des offres émises, puis alloue les titres de façon discrétionnaire aux différents investisseurs ayant manifesté leur d’intérêt.

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L’équivalent du book building du côté des investisseurs individuels est l’offre à prix ouvert (OPO), qui leur permet d’indiquer le nombre d’actions qu’ils souhaitent se voir allouer ainsi que le prix maximum qu’ils sont prêts à offrir à l’intérieur de la fourchette définie ; le prix d’émission final résulte de la confrontation entre l’offre et la demande de titres. Ces deux mécanismes présentent la spécificité de s’inscrire dans un véritable processus de « découverte du prix » préalable à la cotation. Notons qu’il est fréquent que plusieurs modes de détermination du prix soient combinés.

Selon la méthode de placement choisie, le rôle assigné au syndicat de placement sera plus ou moins important. Ainsi, si la méthode du book building lui fait la part belle en lui octroyant une forte latitude de décision, à l’inverse, dans le cadre d’une offre à prix ferme ou d’une offre à prix minimum (OPM, ou dutch auction, autre méthode de placement des titres, par laquelle l’émetteur et l’intermédiaire financier décident d’un prix plancher, au-dessus duquel le prix final est déterminé par un mécanisme d’enchère), c’est essentiellement la demande du marché qui détermine l’allocation des actions, ne laissant qu’un rôle marginal à la banque d’investissement. L’offre à prix minimum avait par exemple été choisie comme méthode de placement par Google en 2004, fait rare pour une entreprise américaine.

La décote d’IPO, un jeu de séduction

Les études empiriques mettent en évidence l’existence d’une décote (underpricing) entre le prix d’émission des titres auprès des investisseurs souscrivant à l’IPO et la valeur fondamentale de la société telle que déterminée par les méthodes de valorisation classiques (DCF, comparables boursiers, transactions précédentes). Autrement dit, il s’agit traditionnellement d’un écart de l’ordre de 10% à 20% entre le prix initial d’IPO et le cours vers lequel devrait normalement converger le titre, une fois échangeable sur le marché boursier. Cette décote appliquée sciemment par l’émetteur et l’intermédiaire financier est censée faire miroiter aux investisseurs, notamment institutionnels, la perspective d’un gain à court terme et ainsi attiser leur appétit pour l’opération. La littérature financière regorge d’ailleurs de débats portant sur la justification théorique de cette décote d’IPO.

Selon les modalités de fixation du prix et l’état de l’offre et de la demande, il peut arriver que le taux service (proportion d’actions allouées sur le nombre total d’actions demandées par l’investisseur) soit inférieur – et parfois largement – à 100%, traduisant une « sur souscription » du titre.  Des niveaux de sur souscription particulièrement élevés sont fréquents dans le cas de l’offre à prix ferme, puisque, le prix étant fixé à l’avance, l’unique variable d’ajustement est la quantité d’actions offertes.

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Enfin, il n’est pas rare qu’une IPO comprenne une tranche primaire (augmentation de capital, c’est-à-dire émission de nouvelles actions afin de financer le développement de l’entreprise) et une tranche secondaire (cession sur le marché d’actions existantes, uniquement au bénéfice des actionnaires cédants), permettant ainsi aux actionnaires historiques de la société de réaliser leur patrimoine sur une partie de leurs actions tout en restant au capital de la société nouvellement cotée. Une cession de la totalité de leurs actions au moment de l’introduction en Bourse risquerait, elle, d’être interprétée comme un signal négatif de la part du marché.

Au-delà des modèles traditionnels d’introduction en Bourse décrits précédemment, on peut identifier plusieurs options alternatives, dont la cotation directe ou encore le SPAC connaissant une popularité grandissante et sur lesquels nous nous pencherons dans le prochain chapitre du dossier d’AlumnEye sur l’ECM : « Les Grands Cycles d’Introduction en Bourse des 30 dernières années ».

 

 

 

Nathanaël Zobel-Pantalacci, contributeur du blog AlumnEye