Les Green Bonds, ou « Obligations Vertes » en français, sont une nouvelle forme d’obligations apparues il y a une dizaine d’années. Dans la continuité du mouvement d’une finance plus responsable et de la signature de l’accord de Paris sur le climat, ce nouveau mode de financement est de plus en plus populaire, et compte des profils d’émetteurs et d’investisseurs très variés. Mais après un succès croissant, les montants émis ces dernières années ont stagné, traduisant les doutes des investisseurs envers cet outil parfois jugé opaque…

 

Quelles différences avec une obligation classique ?

 

Les Green Bonds ont le même fonctionnement que les obligations « classiques », à quelques nuances près. Si cet outil est avant tout un moyen de financement pour l’émetteur, un Green Bonds a pour vocation, et se doit, de financer la transition énergétique. Derrière ce terme générique très large se cachent de nombreuses possibilités : énergies renouvelables, efficacité énergétique, gestion de l’eau, valorisation des déchets ou encore réduction de l’empreinte carbone des moyens de transport. L’usage des fonds est donc un engagement pris par l’émetteur, qui doit aussi produire chaque année un reporting sur la vie du projet. Cet engagement fait souvent l’objet d’une notation extra-financière, qui s’additionne donc au scoring réalisé par les agences de notation classiques.

À l’image des obligations classiques, les émetteurs peuvent être de deux natures : privés (entreprises, banques) ou publiques (états, collectivités, agences, banques supranationales). Les émetteurs s’appuient ensuite sur des arrangeurs (banques)  pour émettre leurs produits sur le marché primaire. À l’échelle mondiale, CACIB se place en première place, avec  6,9% du marché en 2018 ; suivi de près par BAML et HSBC. En termes numéraires, chacune de ces banques a piloté pour près de 7,5Md$ en 2018, parmi un marché global de 167Md$ cette même année. Enfin des organismes tiers (Vigeo Eiris, Sustainalytics, CICERO…) peuvent être impliqués dans le processus d’émission d’un Green Bond, pour certifier le caractère « vert » du projet financé. 69% des corporate Green Bonds sont certifiés, et rencontrent logiquement un plus grand succès auprès des investisseurs car jugés plus fiables, plus crédibles.

Un Green Bond suit donc le même mode de fonctionnement qu’une obligation classique, tout en ajoutant un engagement de l’émetteur à utiliser ces fonds pour un usage éthique envers l’environnement. En termes de rendement, la dernière tranche de l’OAT verte française, émise en janvier 2017, était de 1,25% à 22 ans ; c’est donc un placement à retour faible mais sécurisé pour l’investisseur.

 

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Un succès indéniable

 

Le tout premier Green Bond a été émis par la Banque Européenne d’Investissement (BEI) en juillet 2007, sous le nom de « Climate Awareness Bond ».  La Banque Mondiale fait de même en 2008, mais le véritable essor de ce marché intervient en 2012. Ce marché commence alors à se structurer autour du premier benchmark par l’International Finance Corporation, puis par la publication des « Green Bond Principles » en 2013. Un consortium de banques composé de BAML, CitiGroup, JP Morgan et CACIB promeut à travers cet ouvrage un ensemble de recommandations pour l’émission d’un Green Bond, en encourageant la transparence et l’intégrité des acteurs.

Environ 10Md$ sont émis cette année, puis 40 Md$  en 2014, 80 Md$  en 2016 et 167 Md$  en 2018 selon Moody’s. Les états et agences internationales ont été les premiers moteurs du marché, avec notamment des pays européens précurseurs (Pologne, France), plus tardivement suivis par les États-Unis et la Chine. On estime d’ailleurs que 10%  des émissions d’obligations souveraines en 2018 sont vertes.  Ce moyen de financement gagne aussi en popularité auprès des entreprises privées avec notamment EDF, Unilever, Unibail ou encore Engie en porte-étendards.

Mais au-delà d’un simple moyen de financement, l’émission d’un Green Bond peut permettre de valoriser l’image d’une entreprise auprès des investisseurs et du grand public. En 2017, Apple avait répondu à Trump en émettant un Green Bond d’1Md$ suite à la décision de Washington de se retirer de l’accord de Paris sur le climat. Succédant à un premier Green Bond de 1,5Md$ l’année précédente,  cette opération fut d’une dimension symbolique très forte, puisque la firme à la pomme disposait alors de 250Md$ de trésorerie et n’avait aucun besoin de fonds supplémentaires.

L’agence Thomson Reuters s’est penchée en 2018 sur la question de l’efficacité de ces Green Bonds, en se référant à sa propre échelle « ASSET4 » qui attribue une note ESG (Environnemental, Social, Gouvernance)  à chaque entreprise. Il en sort que chaque entreprise  ayant émis au moins un Green Bond voit son score augmenter de 6,1 points (sur 100). Reuters a aussi mesuré une proportionnalité de 17 tonnes de CO2  émis en moins par million de dollar de Green Bond émis, soit l’équivalent de l’empreinte carbone annuelle d’un foyer français. Enfin Reuters note que la part des brevets verts parmi tous les brevets émis annuellement par ces entreprises augmente de 2,1%. S’il n’est nullement question de mesurer et de commenter l’efficacité de ces Green Bonds, cette étude vient valider l’impact réel de ce nouveau moyen de financement.

 

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Absence de réglementation et Greenwashing

 

Mais après des années de forte croissance du marché, et un premier essoufflement visible en 2018 (3% de croissance), les prévisions pour 2019 ne sont pas de bon augure. HSBC table en effet sur un volume d’émission de Green Bonds compris entre 140 et 180Md$, soit une croissance très faible, voire une régression par rapport à 2018. Si Moody’s se montre plus optimiste et prévoit 200Md$, cette hypothèse avait déjà été prise en 2017 pour 2018, pour un résultat final de 167Md$…. Bien sûr cette stagnation du marché intervient alors que le marché général de l’obligataire est lui-même hésitant, avec des taux de plus en plus faibles.

Mais cette stagnation traduit plus profondément la remise en cause, et l’intensification d’une forme de défiance envers les Green Bonds. Ces derniers comptant pour moins d’1% du marché obligataire mondial, ils sont sujets à des risques de liquidité non négligeables. L’investisseur peut en effet avoir du mal à revendre son titre sur le marché secondaire, et est parfois contraint d’aller jusqu’à maturité. Seule une augmentation significative du volume de Green Bonds en circulation permettrait d’effacer ce risque de liquidité, et de les considérer alors comme des instruments financiers à part entière. De plus le marché ne comporte aucun cadre juridique clair, ce qui inquiète d’ailleurs l’AMF en France. Les engagements de l’émetteur ne figurent pas toujours sur la première page  des plaquettes, et il n’existe en général aucune clause punitive en cas de contre-performance verte ; si ce n’est la réputation de l’émetteur… Le Greenwashing, ou écoblanchiment,  apparaît alors comme un véritable risque : l’émission d’un Green Bond permet de redorer l’image d’une entreprise, même si cette dernière ne prend aucun véritable engagement envers l’environnement.

Enfin il n’existe à ce jour aucune définition universelle du mot « vert », quand associé à la finance. En mai 2017 le pétrolier espagnol Repsol émet un Green Bond de 500M€ (5 ans, 0,50%), notamment certifié conforme au Green Bond Principles par l’agence Vigeo Eiris. Le pétrolier s’engage alors à améliorer l’efficacité énergétique de ses raffineries pour réduire son empreinte carbone de 10%, mais confirme sur le long terme sa volonté de continuer à exploiter cette source d’énergie très polluante. Après de nombreuses controverses, l’obligation de Repsol a finalement été exclue de la majorité des indices de Green Bonds ainsi que de la puissante organisation « Climate Bond Initiative », mais n’a pas empêché Repsol d’être récompensé par d’autres organisations. L’incertitude qui ressort de cet exemple montre à quel point la définition de « vert » est subjective, puisque touchant à la notion d’éthique, qui est purement personnelle. Il n’existe d’ailleurs aucune organisation supranationale régulant l’attribution du label « Green » à un outil financier, et qui laisse l’investisseur, qui n’a souvent pas l’expérience et le savoir-faire pour le mesurer lui-même, seul décideur de la véracité de cette appellation.

 

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Un avenir incertain

 

Le marché des Green Bonds entre donc dans une phase critique de sa courte existence. Après une croissance initiale exponentielle, poussée par une forte demande et une première structuration du marché, ce dernier connaît une longue période de stagnation. Les investisseurs sont à présent plus exigeants en termes de certifications et de performances des engagements verts, pour éviter tous types de Greenwashing encore facilités par le manque de cadre réglementaire à l’échelle internationale. Ces investisseurs n’hésitent pas à se tourner vers d’autres Social Bonds, ou Sustainable Bonds, qui se basent sur des critères plus larges (ESG), et dont la croissance de 35% en 2018 permet à ce marché de dépasser les 35Md$.

Malgré la présence de nombreux acteurs de référence et d’agences de notation extra-financières, il faudrait dès à présent instaurer une méthode et une certification universelle. Basé sur une concertation des pouvoirs publics et des industriels concernés, un référentiel unique permettrait alors de noter et de suivre dans le temps la performance des engagements verts pris par les émetteurs. Mais comment construire une grille de notation objective, lorsque la définition d’un investissement vert comporte une grande part de subjectivité ?  Sans notation universelle, et malgré la présence des agences de notation et d’acteurs de référence, l’investisseur serait alors seul responsable et juge de la performance verte de son investissement. Quoi qu’il en soit, seuls un affermissement du cadre réglementaire et une homogénéisation des méthodes de certification permettront à court au terme de faire redécoller le marché des Green Bonds. Redonner confiance aux investisseurs est vital, pour que ces derniers puissent continuer à supporter une finance verte et vertueuse.

 

Théophile Augustin, étudiant à HEI Lille et contributeur du blog AlumnEye