Dans le paysage financier, les opérations de fusions et acquisitions (M&A) sont souvent considérées comme le Graal à la fois pour les banques (car symbole de savoir-faire, expertise et talent de leurs employés) et les entreprises (car marquant un tournant souvent décisif pour les dirigeants). Si chaque transaction semble avoir sa propre logique, on peut se demander de manière plus générale : quelle est l’utilité économique du M&A ? Qu’est-ce qui pousse les entreprises à réaliser une opération de fusion ou acquisition ?

En réalité, le M&A est indispensable à la vie des entreprises, notamment dans le cadre de leur stratégie de croissance. En effet, deux questions reviennent inlassablement : comment augmenter le chiffre d’affaires ? Comment générer davantage de profits ? Ces deux enjeux principaux sont inévitablement liés puisque le chiffre d’affaires est une composante du profit. Se pose alors la question des stratégies à disposition des entreprises pour augmenter leur chiffre d’affaires, telles que les opérations de fusions et acquisitions. Bien que comportant des risques, le M&A permet de pallier les défauts des autres stratégies, et de générer une croissance bien supérieure. Par ailleurs, les opérations de M&A peuvent se révéler indispensables lorsque l’existence d’une entreprise est menacée, c’est-à-dire lorsque, dans certains cas très précis, il est nécessaire de rapprocher des entités juridiques, opérationnelles et commerciales.

Le M&A, stratégie de croissance la plus convaincante pour les entreprises

La croissance d’une entreprise a bien souvent pour objectifs d’accroître ses parts de marché (en termes de géographie, secteurs ou produits), d’acquérir une nouvelle clientèle, d’atteindre une taille critique voire de développer un avantage compétitif déterminant (une technologie, un brevet, un processus de production). Le M&A est alors une stratégie de croissance privilégiée puisqu’elle permet d’atteindre ces objectifs de manière plus certaine et plus rapidement.

Les 3 stratégies de croissance généralement utilisées par les entreprises

Pour toute entreprise, la croissance de son activité est essentielle. Elle peut alors mettre en œuvre 3 stratégies différentes : la croissance interne, la croissance conjointe, et la croissance externe.

La croissance interne (ou organique) correspond au développement de projets en interne ; il s’agit bien souvent de projets dits « greenfield ». Elle peut avoir différents objectifs (non exclusifs) qui sont autant de moyens de générer davantage de croissance : augmenter le nombre de clients, le volume et la fréquence d’achat, ainsi que le prix des produits. Son principal avantage est d’être normalement cohérente avec les capacités que l’entreprise a développées depuis son existence en termes de stratégie, de savoir-faire, d’expertise, de technologie, etc.

La croissance conjointe consiste quant à elle en des alliances avec des partenaires permettant un développement de projets communs. Ces alliances peuvent être contractuelles (les parties prenantes s’accordent sur un contrat concernant une licence, un partenariat ou un distributeur) ou capitalistiques (une nouvelle société commune, appelée joint-venture, voit le jour afin de lier les entreprises). L’alliance conjointe présente des avantages assez séduisants car elle permet de mettre en commun des ressources (ce qui est essentiel lorsque le marché concerné présente de fortes barrières capitalistiques à l’entrée) tout en gardant une certaine autonomie entre les parties prenantes grâce à un format souple. C’est ainsi qu’est née l’entreprise Airbus, résultat d’une alliance conjointe entre plusieurs entreprises européennes à la fin des années 1960.

La croissance externe prend principalement la forme de fusions et acquisitions (M&A), dont la diversité des opérations possibles est très importante. Le principal avantage est qu’elle permet de disposer immédiatement d’une entité fonctionnelle et opérationnelle, ce qui contribue immédiatement à la création de valeur puisque l’acheteur a aussitôt un accès aux free cash flows de la cible. En outre, il s’agit pour l’entreprise d’un moteur de renouvellement et d’expansion très important. Le M&A permet en effet de se lancer sur un nouveau marché ou secteur géographique, en achetant ou fusionnant avec une autre entreprise déjà présente sur ce marché. C’est aussi un moyen efficace pour obtenir un avantage compétitif en acquérant une technologie, une marque ou une expertise. Enfin, la croissance externe possède un potentiel de développement quasi-illimité pour les entreprises, pour un risque économique réduit compte tenu du rôle du deal maker, le travail des banques d’investissement permettant une sélection efficiente de la cible.

La croissance interne et conjointe, stratégies présentant des inconvénients rédhibitoires

Si la croissance interne semble séduisante, rien ne garantit à 100% que ces projets seront un succès : le risque d’échec est grand pour quatre raisons. Premièrement, la réalisation du projet peut être menacée par une insuffisance de la demande : les analyses et projections ayant incité à la réalisation du projet peuvent se révéler fausses à terme, les tendances du marché évoluant constamment.  Deuxièmement, la réalisation du projet peut être menacée par l’incapacité technique et logistique de l’entreprise à le mener à bien, surtout s’il implique de lourds investissements ou un aspect technologique complexe. Troisièmement, la réalisation du projet peut être menacée par les difficultés économiques qu’il génère : il peut se révéler beaucoup plus onéreux que les projections formulées et/ou ne pas rencontrer son public. Enfin, le temps ne joue pas en faveur d’une stratégie de croissance interne : il y a un décalage entre le moment où les investissements sont réalisés et celui où l’entreprise génère des cashflows grâce à ce projet. Le développement de nouvelles compétences et actifs peut également être trop long.

Dans le cas de la croissance conjointe, les risques d’échec sont principalement liés à des enjeux de gouvernance et de gestion de l’alliance. Il n’est pas facile de faire cohabiter deux voire davantage d’entités au sein d’une alliance et d’un projet commun, chacun cherchant à en tirer profit, parfois aux dépends des autres. En effet, la principale question qui se pose est celle du partage de la valeur : comment répartir la valeur créée entre les différents membres ? Des désaccords peuvent parfois apparaître, entravant l’efficacité de l’alliance, comme nous l’avons constaté au sein de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, laquelle souligne toute la complexité de gérer une alliance dont les enjeux politiques ont parfois tendance à prendre le dessus sur les enjeux stratégiques et financiers.

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Le M&A, la solution la plus performante et compétitive ?

La croissance externe permet de pallier le risque d’échec de la croissance interne. Bien souvent, la raison d’être d’une transaction M&A est justement de constituer une meilleure offre sur des marchés où la demande n’est pas encore satisfaite. Il y a donc moins de risque que cette proposition de valeur ne rencontre pas le succès attendu, d’autant plus qu’elle prend forme quasi-immédiatement. De plus, bien qu’une opération M&A soit onéreuse, le risque économique est moindre car il est possible d’envisager concrètement ce que les parties prenantes généreront en termes de revenus et de profits après l’opération. Qui plus est, si celle-ci est un succès, et toute chose étant égale par ailleurs, la valorisation des actifs concernés aura tendance à augmenter, ce qui renforce le bien-fondé économique de l’opération. Si le risque d’échec est également présent, il n’en demeure pas moins (beaucoup) plus mesuré, notamment parce qu’une telle transaction suppose la participation d’acteurs (banques d’investissement, cabinets de transaction services ou d’audit, etc.) dont le rôle est de s’assurer de la bonne réussite de cette dernière.

Surtout, le temps est plutôt l’allié du M&A car l’horizon temporel est extrêmement raccourci par rapport aux projets de croissance interne. En effet, une fois la transaction actée, la création de valeur se lit directement dans les états financiers car la croissance externe permet d’intégrer directement les actifs et compétences, ce qui prendrait peut-être des années à développer en interne. C’est l’une des raisons qui a poussé Amazon à racheter Whole Foods en 2017 : il aurait été trop long, coûteux et risqué de développer un business model similaire à celui de Whole Foods. Il valait mieux l’acquérir afin de profiter de son savoir-faire et positionnement. Le risque est également moindre car il est peu probable que les conditions de marché changent à un point tel que la transaction soit remise en question (sauf en cas de crises graves).

Enfin, une différence principale avec la croissance conjointe est le degré de contrôle associé à cette création de valeur. Au mieux, dans une alliance, la valeur créée est partagée équitablement entre les acteurs, ce qui n’est pas le cas dans une stratégie de croissance externe : elle revient tout entière soit à la nouvelle société dans le cas d’une fusion, soit à l’acheteur dans le cas d’une acquisition. La création de valeur est donc limitée dans une stratégie d’alliance, contrairement à une stratégie M&A.

Le M&A à l’origine de synergies de revenus

Contrairement aux autres stratégies de croissance, le M&A permet de créer des synergies de revenus entre les entités concernées, c’est-à-dire que l’addition de leurs compétences, savoir-faire et expertise va créer davantage de revenus que la simple somme de ceux générés indépendamment par les entreprises concernées. En d’autres termes, elles vont vendre plus ensemble, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, le M&A permet de faire du cross-selling qui consiste à lier la vente d’autres produits à la vente de ceux traditionnellement proposés aux clients. Par conséquent, on vend davantage de produits à davantage de clients sur davantage de marchés. Deuxièmement, le M&A permet d’augmenter le pricing power de la nouvelle entité : comme la concurrence a été réduite, la nouvelle entité peut vendre plus cher. Enfin, le M&A permet d’atteindre de plus gros marchés et ainsi de toucher de nouveaux clients potentiels.

Ces synergies vont ainsi contribuer à augmenter les ventes et à rendre la transaction plus rentable pour les actionnaires. Par exemple, l’acquisition de Gemalto par Thales doit permettre de dégager 300 à 500 millions d’euros de synergies de revenus à l’horizon 2023 grâce à la mise en commun d’offres et de compétences complémentaires, ainsi que de leur portefeuille de clients.

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Améliorer la rentabilité d’une entreprise grâce aux synergies découlant des opérations de M&A

Le M&A est également une stratégie tout à fait efficace lorsqu’il s’agit de réduire les coûts – augmentant ainsi la marge d’une entreprise – puisqu’elle est à l’origine de synergies de coûts.

 

Les 4 formes principales des synergies de coûts

La première est le cost-cutting, correspondant aux coupes budgétaires réalisées lorsque deux entités se lient via une opération M&A. Certaines ressourcent détenues « en double » sont alors rassemblées : siège social, bâtiments, postes managériaux, etc. Le M&A permet donc de supprimer une partie de ces coûts.

La seconde est les économies d’échelle. Une opération de M&A permet d’augmenter la taille de l’outil de production ce qui permet d’atteindre, du moins de se rapprocher, d’une taille critique de sorte à ce que le coût de production unitaire diminue.

La troisième, très liée aux deux premières, est le besoin en CapEx (Capital Expenditures, les investissements en actifs immobilisés nécessaires pour développer l’appareil productif et le maintenir en l’état). Le M&A permet en effet de réaliser des économies sur les investissements futurs puisqu’il permet déjà d’acquérir certains actifs immobilisés.

La quatrième est le purchasing power, le pouvoir de négociation auprès des fournisseurs et des distributeurs. Grâce à une opération de M&A, une entreprise va augmenter son purchasing power et ainsi acheter des matières premières, des outils ou n’importe quel autre produit nécessaire à la production moins cher qu’avant (en achetant davantage qu’avant, le fournisseur y trouve également son compte). Cela diminue bien évidemment ses coûts et améliore sa marge. Mieux, une entreprise, peut même réaliser une opération de concentration verticale, c’est-à-dire qu’elle va directement racheter un fournisseur pour l’intégrer à sa chaîne de valeur. Elle profitera alors d’une meilleure liberté sur ses coûts et ses marges.

Enfin, nous pouvons également remarquer qu’une opération de M&A permet de réaliser des synergies financières qui donnent lieu elles aussi à une réduction des dépenses pour l’entreprise. En effet, lors d’une opération de M&A, un rerating a lieu ce qui permet à la nouvelle entité de renégocier sa dette et bénéficier de conditions d’emprunt plus avantageuses, réduisant ainsi les intérêts versés.

 

Les opérations de M&A, également indispensables pour assurer la survie des entreprises dans certains cas précis

L’existence même des entreprises menacée dans le cas de “distressed situations

Dans la vie des entreprises apparaissent parfois des situations critiques qui menacent leur existence. Ces situations peuvent être provoquées par des crises financières, des aléas ou encore une mauvaise gestion. Quoi qu’il en soit, elles ont pour conséquence d’importantes difficultés économiques et financières qui peuvent contraindre l’entreprise à se séparer d’une de ses activités, voire à mettre totalement la clé sous la porte. On parle dans ce cas de “distressed situations”.

Les entreprises concernées peuvent alors faire l’objet d’une liquidation judiciaire prononcée par les autorités compétentes en la matière, ou d’une restructuration auprès des créanciers et des repreneurs afin d’assurer leur pérennité et, in fine, retrouver un niveau de rentabilité conforme aux attentes des investisseurs.

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Les opérations de M&A, nécessaires pour assurer la survie de l’entité

Dans ces situations, le timing est crucial pour assurer la survie des entreprises concernées. Les opérations de M&A peuvent alors apporter une aide déterminante aux entreprises de par leur rapidité d’exécution et leur rationalité. Ces transactions sont en effet réalisées par des spécialistes dont le rôle est d’accompagner les entreprises dans ce type de situation. Le type de transaction réalisée (vente d’un actif ou d’une part de l’entreprise, financement ou refinancement) ainsi que l’accompagnement et l’expertise des consultants permettent alors la survie de l’entreprise.

Pour les acheteurs, les entreprises confrontées à de telles difficultés sont parfois le moyen de faire de bonnes affaires, bien que ce genre d’opérations suppose encore plus de prudence et de rationalité qu’à l’accoutumé. C’est alors l’occasion de se consolider sur un marché ou un secteur en particulier, en profitant d’une cible à (très) bas prix qui peut potentiellement facilement reprendre vie grâce à une intégration et une restructuration réussie.

Enfin, notons que la pression concurrentielle peut également venir menacer la pérennité d’une entreprise, notamment lors de l’apparition d’un concurrent au business model novateur qui va naturellement gagner des parts de marché. Le M&A permet alors d’acquérir le concurrent, et ainsi son innovation. Plutôt que de subir la concurrence, l’acheteur en tire ainsi profit pour gagner de nouveaux clients. C’est en partie ce qui a poussé Facebook à racheter Instagram en 2012. En effet, la popularité grandissante du réseau social créé par Kevin Systrom et Michel Mike Krieger, en particulier auprès des jeunes, était perçue comme une menace pour Facebook qui a préféré prendre les devants en rachetant la jeune start-up en croissance.

 

Les fusions-acquisitions sont une arme redoutable dans l’arsenal de croissance des entreprises : elles apportent la quasi-certitude d’une croissance immédiate et future. A l’autre bout de l’échelle de la croissance, lorsque l’existence même des entreprises est menacée, le M&A se révèle également indispensable pour leur donner un second souffle, ou du moins permettre leur survie. Reste que le coût de la croissance externe peut impacter le rendement de l’opération si elle n’est pas un succès total. Le financement de l’opération peut en effet se révéler complexe et coûteux, tandis que les enjeux d’intégration post-opération sont clés – l’intégration et les enjeux culturels qu’elle suppose étant la principale raison d’échec des opérations de M&A. Cela suppose donc un processus complexe de sélection des cibles potentielles qui, étant donné l’attrait des investisseurs pour les meilleures cibles, conduit à des prix de plus en plus élevés, ce qui complexifie encore davantage le financement. Le M&A n’est donc pas une option parfaite et suppose d’être étudié rigoureusement pour minimiser autant que faire se peut les risques, d’où l’importance du rôle des banques d’investissement dans l’opération. De plus, une opération de croissance externe est bien moins réversible qu’une alliance. S’il est possible de revenir en arrière dans le cadre d’une acquisition, cette option est quasi-impossible pour une fusion. Dans le cadre d’une stratégie d’alliance contractuelle, cette réversibilité est presque totale. Elle le sera moins dans le cadre d’une alliance capitalistique (car des capitaux sont investis). Il est donc nécessaire de bien étudier la question avant de s’engager dans une telle opération.