Le 2 janvier 2021, Couche-Tard, le leader canadien de la grande distribution adresse une “lettre d’intention” à Carrefour dans l’objectif d’ouvrir les discussions à propos d’un rapprochement entre les deux groupes. Le 12 janvier, une dépêche Bloomberg révèle le projet de transaction, qui fait très rapidement l’objet d’une fin de non-recevoir par le Ministre de l’Économie. Dès le 13 janvier, Bruno Le Maire, invité sur le plateau de “C à vous” (France 5), déclare son opposition à l’opération en affirmant que “Carrefour est un chaînon essentiel de la souveraineté et de la sécurité alimentaire des Français”. Le 15 janvier, le Ministre réitère sa position en rappelant que l’État dispose d’un véto sur les opérations impliquant des investissements étrangers dans le secteur de l’approvisionnement alimentaire.

Si la position de Bruno Le Maire a été critiquée par plusieurs acteurs du Droit, elle illustre néanmoins l’accroissement du pouvoir de regard de l’État sur les investissements étrangers. Depuis plusieurs années, la France est à la fois le leader européen en matière d’attraction des investissements étrangers et la championne du contrôle de ces derniers. Initialement limité à certains secteurs extrêmement sensibles, notamment liés à la défense, le pouvoir de contrainte de l’État concerne désormais plus de vingt domaines d’activité différents. Cette politique vise ainsi à éviter qu’un investisseur étranger puisse porter atteinte à l’intérêt national en protégeant les actifs désignés comme stratégiques.

Le 17 mars 2022, Bruno Le Maire se félicitait du bilan français en déclarant notamment que “le contrôle IEF (Investissements Étrangers en France) a su s’adapter aux enjeux soulevés par la crise sanitaire en 2021 pour protéger nos actifs stratégiques. Ce renforcement du contrôle n’a toutefois pas nui à l’attractivité croissante de la France pour les investissements étrangers”. Toutefois, plusieurs acteurs du M&A jugent que l’équilibre n’est pas satisfaisant en raison du manque de visibilité sur ce dispositif.

Quelles sont les raisons derrière un tel élargissement du pouvoir de blocage de l’État ? Devons-nous aller plus loin dans le contrôle ou rétablir l’équilibre entre l’autonomie stratégique et la liberté des investissements ? Et, dans quelles mesures les métiers du M&A doivent-ils s’adapter à cette nouvelle variable ? Analyse d’un dispositif qui est devenu ces dernières années un pilier réglementaire du M&A.

Comment les investissements étrangers sont-ils contrôlés et pourquoi cette politique s’est-elle durcie ?

 Si le principe juridique est celui de la liberté des investissements étrangers, la France s’est dotée d’un régime de contrôle des investissements étrangers depuis 1966. Ce dernier est mis en œuvre lorsque trois conditions cumulatives sont remplies : (1) l’investissement doit provenir de l’étranger, peu importe la nationalité, (2) l’opération doit se traduire par la prise de contrôle d’une société, l’acquisition d’une branche d’activité ou le franchissement du seuil de 25% des droits de vote dans l’entreprise et (3) le secteur concerné doit être désigné comme sensible. La procédure peut déboucher sur une autorisation du ministre de l’Économie, avec ou sans conditions, ou sur un refus de ce dernier.

Cependant, comme l’expose un rapport de France Stratégie paru en novembre 2020 (Contrôle des investissements étrangers), la France a renforcé son dispositif depuis le début des années 2000 en élargissant notamment le nombre de secteurs considérés comme stratégiques et en abaissant les seuils de prise de participation déclenchant un contrôle. En 2005, l’État a établi une première liste de secteurs faisant l’objet d’une attention particulière. A l’origine, seulement 11 domaines d’activité étaient concernés dont plus de la moitié liés à la défense. Après de très légères modifications survenues en 2009 et 2012, le nombre de secteurs concernés fut élargi sous l’autorité d’Arnaud Montebourg en 2014. Ainsi, l’approvisionnement en eau, en gaz et en électricité, les opérations spatiales, les télécoms, les transports, la presse écrite ou le stockage des données sont venus se joindre à la liste.

En 2018, c’est la production de semi-conducteurs et la R&D en matière de cybersécurité, d’intelligence artificielle ou encore de robotique qui sont intégrés dans la liste des secteurs concernés. Dans le même temps, la loi PACTE de 2019 a abaissé le seuil de prise de participation déclenchant un examen pour les investisseurs situés en dehors de l’Union Européenne (UE), en passant d’une participation représentant un tiers des droits de vote de la société à seulement 25%. Enfin, depuis la pandémie de Covid-19, les biotechnologies sont venues compléter la liste des secteurs sous contrôle et le seuil de prise de participation a été abaissé de 25% à 10% des droits de vote, pour les sociétés cotées et pour les investisseurs situés dans des pays-tiers (hors UE).

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Les sanctions ont été également renforcées en permettant, par exemple, au ministre de l’Économie de suspendre les droits de vote et la distribution des dividendes en cas de menace sur les intérêts nationaux. Ce durcissement des sanctions a été illustré par l’affaire Man Energy Solution qui produit les moteurs diesels utilisés par les sous-marins nucléaires français. En 2011, Volkswagen acquiert l’industriel et prend un ensemble d’engagements à la suite d’une procédure IEF afin d’assurer l’autonomie militaire française. En 2019, Man Energy Solution annonce son intention de délaisser son activité de production de moteurs située à Saint-Nazaire, alors que les contrats avec l’Armée s’étendent jusqu’en 2030. En janvier 2021, le ministre de l’Économie, constatant l’échec des négociations, met en demeure l’entreprise de respecter ses engagements lui rappelant l’étendue de ses pouvoirs, pouvant aller de simples sanctions financières au retrait de l’autorisation IEF et la cession forcée des actifs.

L’élargissement du régime IEF a eu pour effet de multiplier le nombre d’examens, notamment dans des secteurs hors-défense. Selon la Direction Générale du Trésor, en 2019, 216 opérations avaient été notifiées, dont plus de 31% liées à la défense. Cela représentait environ 15% des projets impliquant un investissement étranger. En 2021, cette part a augmenté à plus de 20%. En effet, 328 dossiers ont été déposés et seulement 13,7% des transactions concernaient la défense (Direction Générale du Trésor, Le contrôle des investissements étrangers en France en 2021, mars 2022). De plus, selon Alexis de Maigret, Head of Investor Relations and Shareholders Engagement chez Vae Solis, interrogé le 27 janvier 2022 par Décideur Magazine (Contrôle des investissements étrangers en France : quelles conséquences pour le marché des fusions-acquisitions ?), 75% des entreprises figurant dans le CAC 40 pourraient être concernées par ce dispositif dans l’hypothèse d’une entrée au capital par des investisseurs étrangers.

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Ces différentes phases d’extension ont été motivées par des traumatismes nationaux. Ainsi, en 2005, le renforcement de la législation française faisait suite à deux opérations ayant eu de grandes répercussions sur l’opinion publique : la prise de contrôle de Pechiney et la rumeur d’une OPA de PepsiCo sur Danone.

Pechiney était un fleuron national spécialisé dans la production et la transformation de l’aluminium. En 2000, un projet de fusion avec le canadien Alcan (qui deviendra par la suite Rio Tinto) et le suisse Algroup est rejeté par la Commission européenne au titre du contrôle des concentrations. En juillet 2003, Alcan lance une OPA surprise sur Pechiney, alors dans une situation financière fragile. L’industriel français capitule à la suite d’une bataille boursière à hauteur d’une valorisation de quatre milliards d’euros. Les activités de Pechiney furent par la suite soit intégrées à la chaîne de production d’Alcan, soit revendues afin que l’industriel canadien puisse se conformer aux exigences de la réglementation antitrust. Cette affaire reste un traumatisme dans l’histoire industrielle français et elle a directement motivé, deux ans plus tard, la levée de barricade sur un potentiel rachat de Danone par PepsiCo.

En juillet 2005, une rumeur boursière voit le jour au sujet de la préparation d’une OPA de PepsiCo sur Danone. Le 6 juillet, Challenges affirma que PepsiCo venait de prendre une participation de 3% dans Danone et a prévu 25 à 30 milliards de dollars pour racheter l’entreprise française. Quelques semaines plus tard, le Financial Times soutient cette rumeur en affirmant que PepsiCo a mandaté deux banques d’affaires pour préparer l’opération. Très vite la classe politique et les syndicats s’élèvent contre cette menace, y voyant une répétition de l’OPA sur Pechiney. Le Premier Ministre, Dominique de Villepin déclara alors qu’il est “ particulièrement vigilant et mobilisé” sur le dossier. Même si, encore aujourd’hui, rien ne permet de corroborer cette rumeur, cette affaire a abouti au décret du 31 décembre 2005 établissant la première liste des secteurs concernés par le régime IEF.

En 2014, c’est la perspective du rachat de la branche énergie d’Alstom par General Electric (GE) qui a accéléré l’entrée en vigueur du “Décret Montebourg”. En avril, une dépêche de Bloomberg révèle que des négociations ont été entamées par les deux groupes. Le ministre de l’Économie de l’époque, fortement opposé à ce rachat, publie un décret le 14 mai, étendant la liste des secteurs devant faire l’objet d’une approbation. Son départ du gouvernement, en août de la même année, met fin à ses efforts et quelques mois plus tard, le 4 novembre 2014, Emmanuel Macron, devenu ministre de l’Économie, donne son accord à la vente. Le rachat fut finalisé pour un montant de 9,7 milliards d’euros. Néanmoins, cette vente fait encore aujourd’hui l’objet de nombreuses controverses. L’intersyndicale de GE a mis en demeure le 18 juillet 2019 le groupe américain de respecter les engagements de préservation de l’emploi qu’il avait pris au moment du rachat. Et les critiques se concentrent aujourd’hui sur la perte de souveraineté de la France, notamment au sujet de la fabrication des turbines utilisées par les sous-marins nucléaires. Le bilan fortement contrasté de cette opération a poussé au renforcement de la législation en 2019.

Enfin, depuis 2020 c’est la pandémie du Covid-19 qui a poussé le gouvernement à renforcer sa réglementation, notamment à l’initiative de la Commission Européenne. Dans une communication du 13 mars 2020, cette dernière alertait sur le risque de tentatives d’acquisitions d’actifs stratégiques européens par des investisseurs provenant de pays tiers dans un contexte de grande faiblesse financière. Elle ciblait, en particulier, le secteur crucial de la santé. C’est ainsi que le gouvernement français a pris la décision d’inclure le secteur des biotechnologies à la longue liste des secteurs sensibles. Ainsi, selon le rapport suscité de la Direction Générale du Trésor, entre 2020 et 2021, les demandes d’autorisation préalable dans le secteur de la santé ont doublé. Plus de la moitié des dossiers ont été autorisés sous conditions dans la mesure où le ministre estimait que les opérations présentaient “des risques importants pour la sécurité publique”, sans qu’il ne soit donné plus de détails sur ces opérations en raison de la confidentialité inhérente à la procédure.

Comment la France se situe-t-elle par rapport aux autres pays ?

Au niveau européen, la France est le pays qui effectue le plus d’examen au titre du contrôle des investissements étrangers. Ainsi, en 2020, 159 opérations ont été contrôlées en Allemagne contre 275 en France. En 2019, l’Italie a traité environ 80 dossiers et la Finlande 15 quand la France en a examiné 216 (White & Case, Foreign direct investment review 2021 (Finland, France, Germany, Italy), 20 déc. 2021)

Néanmoins, les travaux de l’OCDE montrent que non seulement la France suit une tendance mondiale mais aussi qu’elle figure parmi les pays les moins restrictifs en termes de contrôle des investissements étrangers (Acquisition- and ownership-related policies to safeguard essential security interests: Current and emerging trends, observed designs, and policy practice in 62 economies, Research note by the OECD Secretariat, 2020). Selon les données de l’OCDE, à l’échelle mondiale, environ 60% des flux d’investissement étrangers pourraient faire l’objet d’un contrôle alors que cette part représentait seulement 15% en 1990. Au demeurant, l’indice de restrictivité développé par cette organisation montre que la France, et plus largement les pays membres de l’UE, ont des mécanismes bien moins coercitifs que les Etats-Unis, le Canada ou encore la Chine.

Ainsi, les évolutions du régime IEF s’inscrivent dans les dynamiques géopolitiques complexes qui peuvent profondément affecter les opérations de cross-border M&A, à l’image de l’affaire Tiffany-LVMH. Le projet d’acquisition de Tiffany par le leader mondial du luxe pour 16 milliards de dollars, d’abord annoncé en novembre 2019, avait été interrompu en septembre 2020 par LVMH. Dans un communiqué de presse, le groupe dirigé par Bernard Arnault avait évoqué la lettre du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian,  demandant à son entreprise “de différer l’acquisition de Tiffany au-delà du 6 janvier 2021” notamment en “réaction à la menace de taxes sur les produits français formulée par les Etats-Unis”. Si la transaction a finalement été conclue le 7 janvier 2021 pour 15,7 milliards de dollars, elle démontre que le contrôle des investissements étrangers n’est pas purement fondé sur des règles de Droit. À l’image de l’intervention du ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, sur le projet Carrefour-Couche-Tard, le contrôle IEF peut aussi prendre la forme d’un avertissement oral ou encore d’une opposition à un investissement à l’étranger par une entreprise française.

L’équilibre entre souveraineté économique et attractivité du territoire est-il atteint ?

Le renforcement de ce régime ne semble pas avoir d’impact sur l’attractivité du territoire. Selon le rapport annuel publié par France Business, l’agence étatique chargée de promouvoir l’attractivité économique de la France, cette dernière est le pays européen le plus attractif en termes d’investissements étrangers depuis 2019. Ainsi, en 2021, plus de 1600 projets d’investissements étrangers ont été recensés en France. A titre d’illustration, Qualcomm, géant américain de la production de composants électroniques et notamment impliqué dans le déploiement de la technologie 5G, a ouvert en janvier 2021 un centre de R&D en Bretagne dédié au développement de la 6G (Qualcomm, Why and what you need to know about 6G in 2022). En novembre 2021, l’entreprise a également acquis la start-up bordelaise Clay AIR, spécialisée dans les solutions de reconnaissance des gestes pour les systèmes de réalité virtuelle (VR). L’industriel américain vient par ailleurs d’annoncer le lancement du fonds Snapdragon Metaverse Fund, doté de 100 millions d’euros, pour investir dans les Start-up spécialisées dans le développement des technologies de VR à destination du Metaverse.

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Néanmoins, si le gouvernement se félicite de ce bilan, certains experts s’inquiètent de l’impact au long terme de cette politique et notamment dans le secteur du Tech M&A. Le cabinet d’avocats Pinsent Masons, spécialisé dans les technologies de pointe, met en avant l’absence de lignes directrices destinées aux opérateurs qui sont confrontés à une grande incertitude sur la nécessité de saisir l’autorité compétente (How stricter rules on foreign investment screening impact tech M&A in Europe, 19 oct. 2021). Ce constat est particulièrement fondé en France dans la mesure où, selon la Direction Générale du Trésor, 76% des dossiers déposés en 2021 ne devaient pas être soumis au contrôle IEF. De même, Pinsent Masons dénonce le manque de transparence et le pouvoir discrétionnaire des autorités qui rend encore plus difficile la création d’une pratique de marché.

Cette incertitude juridique et le risque d’une potentielle interdiction peuvent avoir pour conséquence de dissuader certains investisseurs étrangers d’acquérir des actifs emblématiques. En effet, Grégory Mailly, M&A Executive Director chez J.P. Morgan, attire l’attention sur la “sensibilité croissante de l’État lorsque les investisseurs veulent prendre le contrôle d’actifs iconiques”. De même, le contrôle IEF risque de devenir un outil de filtrage des investisseurs en fonction de leur nationalité, certains pays pouvant être considérés comme indésirables, ou un mécanisme préventif pour éviter le surgissement de polémiques comme ce fut le cas pour Carrefour (La France, terre de conquête d’investisseurs étrangers : une ligne de crête à tenir entre attractivité économique et défense des intérêts stratégiques, Fusions-Acquisitions, Mai-Juin 2021).

Le contexte extrêmement sensible lié à la période post crise sanitaire et la dimension symbolique de Carrefour a ainsi poussé le Ministre, Bruno Le Maire, à rapidement s’opposer au projet porté par les deux géants de la grande distribution. Cette prise de position était toutefois très discutable, comme le soutient le cabinet d’avocats CMS (Contrôle des investissements étrangers : quelles perspectives pour un contrôle renforcé en France et en Europe, 11 févr. 2021), dans la mesure où il s’agissait d’un investissement relatif à la distribution alimentaire, et non à la production, et que, par conséquent, il se situait en dehors du périmètre de la sécurité alimentaire. Cette intervention est d’autant plus préjudiciable que cette transaction aurait fait bénéficier le distributeur français d’un apport d’argent frais de plus de 3 milliards d’euros et aurait permis aux principaux actionnaires, la Famille Moulin et Bernard Arnault, de sortir du capital au prix de 20€ par action contre 15€ en janvier 2021.

Cette politique a aussi un impact sur la valorisation des entreprises. Le projet du rachat de Photonis, leader mondial de la vision nocturne, par l’Américain Teledyn, est une illustration symptomatique du risque de décote qu’implique un véto sur une transaction. Ainsi, le fonds d’investissement Ardian annonça, au cours de l’été 2019, son intention de céder Photonis qui avait des activités liées à la défense et à l’aéronautique. Après un processus d’enchère, Teledyn, un conglomérat américain, proposa 550 millions de dollars pour la pépite française et notifia le projet d’acquisition à Bercy. Teledyn reçut alors un véto oral. Après une phase de négociation, l’État accepta la proposition de Teledyn à condition d’imposer Bpifrance au capital à hauteur de 10% et avec un pouvoir de véto sur la R&D. Après d’intenses négociations, Ardian finit par accepter à l’automne 2020 une décote de 15% sur le prix initialement proposé et Teledyn notifia, à nouveau, l’opération au ministère de l’Économie. Néanmoins, en décembre 2020, le ministère des Armées opposa oralement son véto, jugeant que l’offre ne permettait pas de préserver la souveraineté française sur un actif stratégique. Ardian a finalement trouvé acquéreur en février 2021 auprès du fonds HLD, basé à Paris, pour 370 millions d’euros, soit une décote de près de 30%.

Quelles sont les leçons à tirer pour les opérateurs et les conseils du M&A ?

Les vétos sur les opérations de Carrefour et Photonis mettent en lumière le fait que le contrôle des investissements étrangers est devenu un pilier réglementaire du M&A aux côtés de la conformité (anti-blanchiment et sanctions internationales) et de la concurrence. Selon Pascal Dupeyrat, lobbyiste dans les secteurs stratégiques, interrogé par le journal économique l’Agefi (Carrefour et Photonis, des vetos aux conséquences redoutées, 21 janv. 2021), les acteurs doivent intégrer ce paramètre très tôt dans leur due diligence. Ils doivent également engager très en amont de l’opération un dialogue constructif avec les autorités compétentes, (en France, le bureau “Multicom 4” de Bercy), comme le souligne Marc Vincent, responsable mondial de l’activité M&A chez Natixis (La France est et demeure, très attractive et très accueillante, avec un marché très ouvert aux investissements étrangers, Fusions-Acquisitions, Mai-juin 2021). Ce dernier insiste sur le fait que les engagements potentiels, en matière de préservation de l’emploi, de contraintes de R&D, de Capex ou encore de construction de sites additionnels de production, doivent être intégrés dans le business plan. Ces scénarios auront ainsi un impact sur le travail de valorisation de la cible.

De même, la documentation contractuelle (Term sheets, contrats de cession d’actions (SPA) et contrats de financement) doit faire l’objet d’une adaptation afin de déterminer la répartition des coûts en cas d’allongement des délais, de refus ou de la mise en œuvre de remèdes imposés par Bercy. Le rôle des conseils stratégiques, financiers et juridiques s’en trouve ainsi accru dans la mesure où le M&A n’est plus seulement un exercice de structuration, de négociation et de valorisation mais aussi de gestion des contraintes réglementaires.

Les conséquences de la pandémie de Covid-19 seront importantes pour les acteurs du M&A, dans la mesure où elle a fait prendre conscience aux pouvoirs publics des problématiques inhérentes à la dépendance à la Chine. Il est d’autant plus probable que cette nouvelle aversion à la dépendance s’accroisse au moment où l’Europe fait face à plusieurs crises de grande ampleur du fait de la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine ou bien de l’enchaînement des faillites bancaires américaines de la Silicon Valley Bank, Signature Bank et Silvergate Bank en ce début d’année 2023. Un contexte d’autant plus délicat que la récente acquisition du Crédit Suisse par UBS dans la nuit du dimanche 19 mars remet au cœur la nécessité d’un contrôle des actifs clés d’une nation. Les rumeurs de rachat de cette institution bancaire helvétique par un acteur étranger comme BlackRock ou Apollo Gloval Maangement pour la partie banque d’affaires a poussé les autorités suisses à rapidement agir et trouver un compromis entre les deux mastodontes bancaires du pays. Ainsi, c’est bien la légitimité du contrôle des investissements étrangers qui en sortira vainqueur au risque de bousculer le subtil équilibre entre l’autonomie stratégique et la liberté des investissements.

Arthur Munier, Aurélien Blachon et Clément Béchet, étudiants à Sciences Po Paris et contributeurs du blog AlumnEye